lundi 22 février 2010
Edward Bernays (1891-1995)
Et s’il s’en trouve par hasard qui en doutent encore—abâtardis au point de ne pas reconnaître
leurs dons ni leurs passions natives -, il faut que je leur fasse l’honneur qu’ils méritent et que je
hisse, pour ainsi dire, les bêtes brutes en chaire, pour leur enseigner leur nature et leur condition.
Les bêtes, Dieu me soit en aide, si les hommes veulent bien les entendre, leur crient : « Vive la
liberté ! » Plusieurs d’entre elles meurent aussitôt prises. Tel le poisson qui perd la vie sitôt tiré de
l’eau, elles se laissent mourir pour ne point survivre à leur liberté naturelle. Si les animaux avaient
entre eux des prééminences, ils feraient de cette liberté leur noblesse. D’autres bêtes, des plus
grandes aux plus petites, lorsqu’on les prend, résistent si fort des ongles, des cornes, du bec et du
pied qu’elles démontrent assez quel prix elles accordent à ce qu’elles perdent. Une fois prises, elles
nous donnent tant de signes flagrants de la connaissance de leur malheur qu’il est beau de les voir
alors languir plutôt que vivre, et gémir sur leur bonheur perdu plutôt que de se plaire en servitude.
Que veut dire d’autre l’éléphant lorsque, s’étant défendu jusqu’au bout, sans plus d’espoir, sur le
point d’être pris, il enfonce ses mâchoires et casse ses dents contre les arbres, sinon que son grand
désir de demeurer libre lui donne de l’esprit et l’avise de marchander avec les chasseurs : à voir s’il
pourra s’acquitter par le prix de ses dents et si son ivoire, laissé pour rançon, rachètera sa liberté ?
Nous flattons le cheval dès sa naissance pour l’habituer à servir. Nos caresses ne l’empêchent
pas de mordre son frein, de ruer sous l’éperon lorsqu’on veut le dompter. Il veut témoigner par là,
ce me semble, qu’il ne sert pas de son gré, mais bien sous notre contrainte. Que dire encore ?
Étienne de la Boétie, discours de la servitude volontaire 1549
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